J’ai un parcours artistique assez long derrière moi, jalonné de joie,
d’exaltation, de questionnement, de doute, de déprime, d’épuisement, de
bonheur…Comme tous les artistes j’imagine.
J’ai commencé par faire de la musique comme on créé un monde à soi
dans lequel on se sent bien. Puis sont venues les premières
confrontations avec le public, la trouille au ventre avant de monter sur
scène, cette sensation incroyable de la surmonter et de transformer
cette énergie en quelque chose de fort, de positif… cette timidité
maladive, cette hypersensibilité paralysante… tout ça bien utilisé,
nécessaire, parfaitement à sa place le temps d’un concert.
Enfin mes premières compositions livrées comme on donne un bout de soi, à vif.
Et sont venus les premiers retours, les premiers avis, les premières critiques et les premiers conseils.
Et ce qui fait le plus de mal, ce sont les conseils.
Les conseils des uns et des autres… des gens du métier, ton voisin, tes amis…
liste non exhaustives de conseils réellement reçus par des professionnels:
« Tu chantes que des trucs tristes, faudrait que ça soit un peu plus enjoué quand même. »
« Tu es une chanteuse, on doit voir ta tête, il faut des photos où on voit bien ton visage. »
« Ta pochette c’est pas possible, mets ta tête en gros, et c’est sûr, ça va attirer l’oeil. »
« C’est quoi ces fringues? faut que tu aies du style, un truc bien marqué, sinon les gens vont pas t’identifier. »
« Moi si j’étais toi, je ferais une vidéo qui fait du buzz. »
« De la vidéo comme un film, tout le monde fait ça, il te faut de la super qualité comme dans un film…t’as personne pour le faire??? tout le monde sait faire ça maintenant!! »
« Il te faut une vision de ta musique, ça suffit plus la musique, limite on s’en fout de la musique. »
« Bah oui mais c’est comme ça maintenant Lola, tu dois être ta propre
manageuse/productrice/éditrice/tourneuse/directrice
artistique/graphiste/ tu dois tout savoir faire. »
« De la musique de film, c’est ce qui se fait en ce moment, tes arrangements devraient être plus cinématographiques. »
« En fait ce qui va pas avec ta musique Lola, c’est que c’est trop compliqué, faudrait que tu fasses plus simple. »
« J’écoute et je comprends pas où tu veux en venir, faut que je comprenne tout de suite où tu veux en venir. »
« Faut que ton univers soit déjà clairement défini. »
« Faut pas que ça soit trop défini sinon, parce que les DA ils aiment bien mettre leur patte ! »
« De la cohérence, limite tu fais la même chanson du début à la fin de l’album, bon j’exagère mais c’est ça ! »
« Faut chanter en français, penses aux quotas des radios. »
« Du gimmick, il faut du gimmick, si on retient, c’est que la chanson est bonne. »
« Ca serait peut-être mieux de prendre des musiciens pour jouer à votre place, non ? »
« Les chaussures, c’est vachement important, un artiste sur scène,
s’il n’a pas pensé à mettre de belles chaussures, même plus j’ai envie
d’écouter. »
« Faut définir ta musique » le même plus tard : « au fond c’est les autres qui vont définir ta musique, laisse-les faire. »
Et toi tu es là, artiste, ton petit cœur, hypersensible, tu te
remets en question parce que tu sais bien que tu n’as pas la science
infuse… et tu fais cette erreur conne, compréhensible, d’écouter les
conseils… mais au fond tu sais pas bien pourquoi… tu te perds toi
même dans ton discours… parce que qu’est-ce que tu veux au juste ? y
arriver ? mais c’est quoi y arriver quand on est artiste ?
Et puis il y a cet article :
« Le secret de comm’ des artistes à succès
Huit minutes de lecture et une réflexion sur ce qu’il faut à votre projet pour connaître les cimes. Et y rester. » par Mathieu Aribart & Jérémy Mahieu, pour l’Agence Brass.
Woaw! génial ! Huit minutes et hop, cette réflexion te fera connaître les cimes!!
et là tu te dis que trop c’est trop.
Je pense les auteurs pleins de bonne volonté, c’est leur job de détecter
les tendances, et je trouve leur analyse plutôt juste… mais pas
complètement juste et ce qui ne l’est pas est dangereusement
*malhonnête* et *
pernicieux.*
Pourquoi?
La parole importante est celle de l’artiste. Qu’en pense FAUVE ? Qu’en pense Christine and the Queens ? Stromae ?
Là où tout se joue c’est ce moment où toi artiste tu es chez toi,
plein d’émotions à extérioriser, plein d’idées brûlantes qu’un truc un
peu plus fort que toi te fait transformer en musique, en paroles, en
mélodies, tu créés… C’est là que ça se passe, c’est là que tout
commence et c’est là que les choses se déterminent.
Je ne crois pas un seul instant que Christine and the Queens se soit dit « oh dis-donc, je sens bien que les gens vont être complètement dingues d’une réflexion soft sur le genre, c’est ça qui va faire que ma musique va plaire, je fonce et pas mollement! »
et même « ouais, on va super mal les gars, on est tous en dépression,
du coup je propose que notre musique symbolise l’envie d’évasion d’une
génération aliénée, et paf on va tout décliner là dessus et ça va être
le succès. »
AUCUN artiste ne pense à ça au tout début, ça n’est pas son rôle.
Mais ces artistes ont eu la bonne idée DE NE PAS ÉCOUTER LES CONSEILS des uns et des autres.
Y’en a une qui a vécu un truc incroyable en Angleterre qui l’a inspiré comme pas possible, qui kiffait Michael Jackson, et qui lui a emprunté ses
chaussures, sa façon de danser et ses « hé »…Rien à faire de ce que les
autres ont pu lui dire, elle ce qu’elle voulait c’était de la pop, de la
danse. Et elle a eu bien raison de suivre son envie et son instinct.
FAUVE pour avoir discuté avec eux, c’est la même chose. Ils ont eu
besoin à un moment de se libérer du carcan habituel de la musique, ils
ont lâché leur douleur et leurs angoisses sans aucune arrière pensée et
le truc a pris à grande vitesse, ils étaient les premiers surpris.
( Et je m’excuse auprès d’eux d’essayer de retranscrire leurs mots
avec ce que ça comporte d’interprétation de ma part…ils viendront dire
ce qu’ils en pensent si ils veulent.)
C’est quoi leur point commun?
être fidèles à ce qu’ils sont.
C’est quoi leur 2ème point commun?
Quelqu’un, une tourneuse (FAUVE), un label ( Christine and the Queens) a eu le talent de capter que ça pouvait vraiment rencontrer un public.
et d’autres plus pragmatiques ce sont référés aux vues youtube (Universal pour Stromae) …
Voilà en quoi cet article est malhonnête.
Les artistes n’ont pas conscience de ce qu’ils vont provoquer chez les gens, c’est inconsciemment qu’il captera cet air du temps et c’est après coup que l’analyse peut se faire. Seulement une fois que le succès est passé par là.
Là on peut se dire « ah mais oui, c’était dans l’air du temps et je vais vous expliquer pourquoi! »
Même le pro qui a repéré l’artiste fait un pari, n’est pas sûr, sens quelque chose…
et le public fait le travail ensuite.
Qu’on peut effectivement renforcer après coup.
Mais attendez, c’est là que ça devient encore plus drôle!
C’est qu’on peut toujours analyser, rien, absolument rien n’indique que ce qui a fait le succès d’un artiste se reproduira encore et encore à chacun de ses albums…Combien ont connu le succès sans jamais le retrouver??
Et pourquoi est-ce pernicieux?
Combien d’artistes en lisant cet article vont sortir leurs narines pour essayer de flairer comment ça sent dehors? l’air du temps? Quelle image plus grande qu’eux ils pourraient bien incarner? et combien vont ADAPTER leur musique en fonction de ça??? Vont oublier l’essence même de leur travail? et sûrement se planter et se remettre en question et pourquoi moi ça marche pas j’ai pourtant tout fait bien….
On ne peut pas savoir ce qui marchera. Ca prend, ça ne prend pas, c’est évident, ça ne l’est pas…Et les artistes « mous » sont le plus souvent les artistes qui font des compromis parce qu’ils ont trop écouté les conseils des gens du métier. Ceux qui savent, ceux qui aimeraient bien savoir, ceux qui aimeraient avoir la recette.
La seule recette c’est d’être fidèle à soi-même, fidèle à son envie et à son instinct, c’est la seule façon d’être en paix avec soi-même parce que le succès effectivement n’a rien à voir avec ton talent. il viendra ou pas, sera là pour ta vie entière ou juste quelques mois et tous tes calculs n’y pourront rien, et ton plan de com’ non plus, et ta ringardise si ça se trouve, c’est ce qui va plaire demain.
et puis merde, t’es pas dans l’air du temps? t’as pas vendu plein d’albums?
tant mieux pour toi de toutes façons tu n’aurais pas supporté la pression du succès tu te serais suicider à 27 ans.
pour ma part je suis en cure de désintoxication de conseils. Je vais donc relire mon post et me l’appliquer.
et là j’entends une petite voix me donner un dernier conseil: « ah ah ah , il est super ton article Lola tu devrais en faire une chanson. »
LAISSEZ NOUS TRANQUILLES AVEC VOS CONSEILS!!!!